Je dois bien l’avouer, au moment de grimper à bord de La Bohême, sur le quai du Port Medoc, je suis pris d’un sérieux doute sur ma proposition de sortie au phare de Cordouan à ma tante Clotilde, 71 ans. Parce que bon, Cordouan, tout le monde le sait ici, c’est plus qu’une simple « sortie ». Elle, de son côté, affiche un sourire radieux et elle ne cesse de répéter à quel point elle est TROP contente de ce cadeau d’anniversaire. Alors vaille que vaille, à l’aventure ! Dès la sortie du port, la manœuvre est pleine de surprises : un chaland vient se porter à notre hauteur, le marin nous rejoint à bord et La Bohême tracte cette seconde embarcation. Tante Clotilde sort les lunettes de soleil et le chapeau, telle une star en pleine mer, elle savoure ce moment, la tête levée vers les embruns, s’étonnant que Royan, sur l’autre rive, paraisse si proche.
Petit à petit, le phare se rapproche et un premier groupe est transféré sur le chaland. À bord, nous restons pantois devant l’incroyable spectacle offert par cette embarcation finalement dotée de roues : on le découvre au moment où l’on croit qu’elle va percuter le sable !
C’est notre tour. Le bateau traverse d’abord les flots puis aborde les rochers. Grand moment où nous sommes bien secoués. Grand moment de rigolade. On nous débarque sur une jetée de pierre. Là, le capitaine du bateau regarde sa montre et nous crie :« Attention, retour au port dans 1 heure et 15 minutes, avant les marées, soyez à l’heure, et bonne visite ! ». Arriver à Cordouan, c’est un peu comme partir à l’assaut d’un château fort : on franchit les dernières marches pour pénétrer dans l’enceinte, pour y être accueillis par la gardienne du phare. Impatiente, tante Clotilde se lance dans l’enceinte de cet incroyable repaire maritime.
Chaque étage est richement décoré : cette pierre, joliment taillée, justifie le surnom de « Versailles des Mers » qu’on prête souvent au phare. Arrivés au sommet, nous n’en menons pas large : on est essoufflés, mais heureux. Quel paysage, mais quel paysage ! Me faisant remarquer l’air de rien que pour son âge, elle est en meilleure condition physique que moi, Clotilde perd son regard sur les vagues qui déroulent et le ciel azuré à l’infini.
De retour à la base, nous cédons notre tour à un autre groupe. Un moment cool, où nous dégustons tranquillement nos sandwichs, l’œil incessamment tourné vers les flots à l’assaut des rochers. C’est qu’on ne verrait pas le temps passer !
Alors que je m’apprête à embarquer de nouveau sur le chaland, quelle n’est pas ma surprise de voir tante Clotilde, d’habitude si réservée, se déchausser, relever son pantalon et guider d’autres membres de la troupe, le visage illuminé par ce voyage hors du temps.
Tout en marchant, genoux dans l’eau, nous ne pouvons nous empêcher de faire des photos. Derrière nous, le géant de pierre. Devant, des surfaces ensablées et le miroitement des eaux. Nous jouons à cache-cache avec des petits poissons qui fuient à notre approche. Bref, jusqu’au dernier moment, nous nous sentons l’âme d’explorateurs, tout simplement.
Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Les marins larguent les amarres du chaland et prennent la direction de la pointe du Médoc. Arrivée sur la terre ferme, tante Clotilde, les joues rouges et les yeux pétillants, tient son chapeau qui manque de s’envoler avec le vent, et me regarde en criant, comme si elle était seule au monde : « Ça, c’est de l’anniversaire!».